Il y a quelques heures j’ai publié sur Youtube une vidéo intitulée Le Clickbait & les Fausses News, dans laquelle j’explore le sujet du clickbait, d’où il vient, et de son impact sur le monde de l’information sur Internet. Je vous invite à consulter cette vidéo avant de continuer cette lecture, mais c’est loin d’être nécessaire.
Dans cette vidéo j’explique le fait qu’à mon sens la raison principale de l’existence du clickbait et des dérives associées est l’Internet « tout gratuit » financé par la publicité en ligne. Marché qui s’est écroulé ces dernières années et pousse les éditeurs à rechercher l’affichage plus qu’autre chose.
Bien entendu, il existe de nombreuses exceptions, loin de moi l’idée de vouloir balancer des généralités, vous me connaissez, ce n’est pas mon style, mais force est de constater que cette mutation profonde du marché a nécessairement influencé la majorité des médias actuels car, bordel de merde, il faut bien vivre.
Certains le font explicitement et de manière assumée car c’est le style même du média (tous les « buzz-quelque chose »), d’autres exécutent une stratégie éditoriale axées sur la vue à contre-cœur… des éditeurs y vont encore doucement, expérimentent, cherchent des solutions alternatives.
The Outline is out!
Choisir aujourd’hui pour « sortir de ma torpeur » n’est pas anodin. Bon certes j’avais envie d’écrire depuis un bail, mais c’est aussi car notre bon vieux Josh Topolsky a sorti son nouveau média, The Outline. Josh, c’est un mec que vous devez absolument connaître si vous lisez le web tech (et pas uniquement). Il a commencé en étant éditeur en chef d’Engadget, puis a lancé The Verge (avec le « This is my next » intermédiaire) et tout récemment vient de se lancer dans une nouvelle aventure, The Outline.
Sans surprise, papa Josh a souhaité révolutionner l’édition en ligne, à nouveau.
Si vous explorez The Outline, vous serez très rapidement désorienté. Il ne s’agit pas de votre média classique. Ici, le contenu est au centre, le lecteur n’est pas là pour chercher une information précise, il évolue dans un univers étrange qui lui offre les articles du moment de façon à la fois naturelle et floue. C’est particulier, certains n’apprécieront pas, mais une chose est sûre : les éditeurs ont eu la possibilité de faire les choses de façon différente, comme ils le souhaitaient, de par l’absence de publicités classiques dans le design.
Le Business Model du site semble être orienté autour de quelques sponsors qui sont présentés en homepage de façon discrète et élégante, parfois avec une citation sur le pourquoi de ce partenariat. A ce stade il est encore difficile de cerner comment The Outline compte remplir les caisses pour payer la grande équipe qui se cache derrière, mais tant mieux, le risque est pris, espérons simplement que l’histoire se concrétise positivement pour tous.
« If we have a central goal, it’s to feed your curiosity and intelligence with as much respect and honesty as possible. No games, just something fucking interesting every day. » – The Outline
Se libérer des « chaines » de la publicité en ligne permet à la rédaction de se concentrer sur ce qui importe, informer de façon respectable et honnête. Le but est d’interpeller le lecteur au quotidien avec des histoires qui nourrissent la curiosité. Un focus évident est fait sur la qualité du contenu et cela se ressent dès les premières minutes de lecture.
Ma vision des choses
The Outline, c’est un exemple parmi d’autres. Une démonstration de ce qu’il peut être possible de faire quand la rédaction peut se concentrer sur ce qui est important, l’information. D’autres médias actuellement viables fonctionnent de la sorte (ou presque), les traditionnels Le Figaro, Le Monde et consorts, Mediapart, Next Inpact et GameKult sont également de beaux exemples, pour ne citer qu’eux.
Mais si je vous parle de cela aujourd’hui c’est aussi car j’ai une idée bien concrète de comment les choses pourraient idéalement se dérouler pour un média afin que celui-ci se retrouve indépendant de toute pression publicitaire, ou presque.
Vous me trouverez soit rétrograde soit trop optimiste, au choix, mais j’ai tendance à penser que dans un univers web où la quantité ainsi que la facilité de digestion du contenu prime face à la qualité de celui-ci, il existe tout de même un paquet de monde très intéressé par une approche qui va complètement à l’inverse de la tendance. Oui, il ne s’agira pas des 13-18 (quoique), oui le volume sera probablement bien plus faible, mais en fait, sur mon principe, on s’en tamponne du volume, et c’est ça qui est génial.
Un média tech 100% financé par ses lecteurs
Restons dans le monde du tech/jeu vidéo, qui me parle plus. Imaginez un média (ensemble site Internet, Youtube et réseaux sociaux) 100% financé par ses lecteurs. Pas de publicité, les contenus sont accessibles librement et bien entendu les lecteurs « premium » ont accès à quelques bonus, avec un système de « niveaux ». Des contenus exclusifs, la participation à des jeux concours, l’accès à des événements physiques organisés, etc. Là-dessus il s’agit simplement de faire preuve d’imagination.
Bien sûr, un tel média sera majoritairement visité par des lecteurs qui ne débourseront pas un centime, c’est le principe du « tout gratuit » sur Internet. Mais pourquoi ne pas intégrer de façon complètement transparente un système d’affiliation bien identifié, ce qui permettrait aux lecteurs « fans » n’ayant pas le souhait de s’abonner de contribuer tout de même, d’une autre manière (affiliation = l’éditeur touche un pourcentage des ventes réalisées depuis son lien/code promo). En affiliation, l’aspect qualifié des visiteurs est bien plus important que son volume, la problématique de la génération de vues ne se poserait ainsi pas.
Un paquet d’avantages…
Les avantages d’un concept de ce genre sont nombreux (ne vous inquiétez pas je passe aux risques après) :
- Un site qui charge vite : pas de scripts publicitaires à faire charger, juste le contenu du site et l’interface, point barre, l’impact est massif niveau performances, ce qui est positif pour le lecteur, pour le référencement naturel (et encore, on s’en tape presque au final !), le taux de rebond…
- Une interface propre : l’éditeur peut penser son interface autour du contenu (l’exemple de The Outline est intéressant), former son interface en fonction du contenu présenté, sortir des sentiers battus et proposer une expérience unique
- Une (relative) stabilité des revenus : une fois un premier groupe de lecteurs premium séduit, ces utilisateurs financent mensuellement l’existence du média, sans engagement bien sûr (mais si ces personnes décident de partir, c’est qu’il y a à priori un souci côté édito). L’éditeur s’exempte des fluctuations du marché publicitaire (ex. Noël est faste, janvier est désertique, l’été pas incroyable, la rentrée meilleure, etc) ce qui n’est pas rien et permet de prévoir l’avenir de façon plus sereine
- Une indépendance totale vis-à-vis des marques : ne pas afficher de publicité ne signifie pas se faire blacklister des constructeurs/marques au niveau des Relations Presse, j’ai même tendance à penser que l’image de fiabilité qui serait dégagée par un tel média attirerait les entreprises qui voudraient voir leur produit se faire tester par l’équipe. Cela étant dit, il n’y aurait pas de confusion possible, l’avis donné serait le plus objectif possible, c’est ce que le média doit au lecteur
- Travailler pour la bonne personne : j’abordais le sujet dans ma vidéo en début d’article, mais en tant qu’éditeur on peut avoir tendance à travailler pour la mauvaise personne, pour les mauvaises raisons. Œuvrer pour faire de la vue est une perte de temps et de compétences, cela frustre par ailleurs les rédacteurs/journalistes qui « n’ont pas été engagés pour cela » (dites-moi le contraire !). Avec un tel business model, l’éditeur travaille non pas pour des annonceurs mais pour son réel client, le lecteur, la seule personne qui importe au final
Ceci n’est pas une liste exhaustive, les avantages liés à ce type de pratique sont nombreux. Vous l’aurez compris, il s’agit donc de séduire par l’expérience utilisateur et fidéliser par le contenu, avec derrière la création d’un lien à la fois rationnel (je lis ce média car je sais que les infos sont bonnes) et émotionnel (je lis ce média car j’approuve leur approche et je veux contribuer).
… et un risque
Eh, ce n’est bien entendu pas le monde des Bisounours :
- Ne jamais atteindre le volume viable d’abonnés : C’est à mon sens le plus gros risque, que le principe séduise mais pas suffisamment de monde pour couvrir les frais, ne serait-ce que d’une personne à temps plein. De la même façon, arriver à financer un full time mais pas plus, freinant ainsi l’évolution du média. Y’a pas de solution miracle ici, c’est une grosse possibilité.
Il doit exister d’autres risques, mais c’est clairement le principal car est la conséquence de nombreux challenges. Le concept ne séduit pas ? Pas assez d’abonnés. Les gens préfèrent le volume à la qualité ? Pas assez d’abonnés. Les utilisateurs ne veulent pas payer ? Pas assez d’abonnés. Bref. Mais n’est-il pas plus sain de se battre afin de gagner des « fans » plutôt que de chasser l’impression publicitaire ?
A ce sujet il y a des possibilités, mais comme je le disais, rien de miraculeux. Une première piste serait tout simplement de ne pas faire les choses seul et de rejoindre un « groupe » type « La Presse Libre » ou similaire. Mieux encore, créer des « packs » premium, avec plusieurs sites web inclus (à mon sens le job des régies publicitaires actuelles).
D’après moi, un tel projet devrait, idéalement, débuter avec un financement initial qui permettrait de proposer dès le lancement un contenu de qualité pour lequel les utilisateurs seraient potentiellement prêts à ouvrir leur porte-feuille. Oui, c’est complexe, risqué, mais à mon sens c’est comme cela qu’un site de contenu réellement indépendant peut et doit exister.
Je vous arrête tout de suite
Non, je n’ai pas prévu de lancer un tel média. Cela serait un énorme projet et j’estime avoir pris suffisamment de risques ces dernières années, investi suffisamment de temps et d’argent dans le monde de l’édition pour réaliser cela, c’est simplement ma façon de voir les choses. Si j’avais les ressources pour monter un média tech innovant, c’est comme cela que j’aimerais faire les choses, et j’espère ne pas être le seul à penser cela.
7 décembre 2016 — 22 h 01 min
Tout à fait d’accord avec cette article. Le Web se scinde en deux.
– d’un côté la presse payante et totalement indépendante
– de l’autre côté la presse gratuite qui multiplient les publi rédactionnelle et les news à clics.
Par ailleurs je pense vraiment que tu devrais publier plus souvent sur ce site car les articles sont de très bonne qualité !